Les stèles discoïdales du Lauragais Les stèles discoïdales du Lauragais font actuellement l’objet d’un recensement par des historiens du Lauragais et des archéologues ; afin d’effectuer ce recensement, Jean Odol s’appuie sur les travaux déjà réalisés et vient les compléter (voir bibliographie en fin d’article).
"L’homme de Belflou" (Aude), |
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Qu’est-ce qu’une stèle discoïdale du Lauragais ?
Une stèle est un monolithe (d’une seule pièce) composé de deux parties : un pied surmonté d’un disque. Presque toutes les stèles ont été observées et recueillies dans des cimetières anciens de la fin du Moyen Age (XIIIème, XIVème et XVème siècles). Elles sont taillées dans la roche locale, soit du calcaire, soit, le plus souvent, du grès.
Les dimensions des stèles sont assez variables ; la hauteur totale varie entre 30 et 120 cm, 140 parfois comme celle que j’ai baptisée "l’homme de Belflou" (Aude), elles font en moyenne : 70 cm. Le disque varie entre 20 cm et 60 cm de diamètre ; le pied mesure 50 à 60 cm ; le pied est entièrement enfoncé dans le sol de la tombe, seul le disque apparaît, ce qui explique que le pied n’est jamais orné.
C’est ainsi que j’ai observé une stèle dans le très vieux cimetière de Notre Dame de Laval, à Saint Léon, avant de la sauver et de l’exposer dans une salle de la mairie, en 1985.
Où en sont les recherches sur les stèles ?
Les historiens se sont intéressés aux stèles assez récemment, vers 1950, mais sans réaliser un ouvrage de synthèse; la meilleure étude est celle de P. Ucla ; les travaux de M. Huygue sont très récents (2000) ; René Nelli, grand spécialiste du catharisme, croyait que très peu des stèles discoïdales de notre région étaient d’origine cathare ; M. Verdier (Pexiora) a réuni un très riche dossier documentaire, Madame Solange Sailliard une très belle collection de photographies.
Le recensement actuellement en cours conduit aux observations suivantes : j’ai pu photographier 3 stèles peu connues à Montesquieu Lauragais, 2 à Saint Léon, 1 au Mas Saintes Puelles, 1 à Avignonet ; par contre, de nombreuses stèles figurant sur la liste d’Ucla ne se trouvent pas à l’endroit indiqué, comme les 18 stèles du château comtal de Carcassonne : elles proviennent, à peu près certainement d’Avignonet où P. Ucla compte 20 stèles, or je n’en découvre que 2, l’une encastrée dans la muraille des remparts, l’autre devant la maison des religieuses, 5 sont au musée Paul Dupuy de Toulouse.
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Stèle tréflée des Cassès (Aude) avec figuration anthropomorphe |
Stèle à Pexiora (Aude) |
Même si beaucoup semblent avoir disparu, de nombreuses communes ont eu le soin de les préserver en les groupant ; on en trouve ainsi 17 au musée de Carcassonne, 13 à Montferrand, 8 aux Cassés, parmi lesquelles le célèbre "Christ des Cassés", 10 à Pexiora dans un jardinet proche de l’église, 7 à Saint Michel de Lanès contre une muraille du cimetière, 5 à Montmaur contre le chevet de l’église. Au château de la Barthe (Belflou) la plus grande par ses dimensions est bien à l’abri dans la cour du château. Près d’Avignonet, celle que je connaissais, sur la route qui conduit au château du Valès, n’est plus là. On en trouve également dans le département de l’Hérault : le musée de Fleury, à Lodève, exposa en 1979 un ensemble de 28 stèles discoïdales.
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Vue générale des dix-huit stèles discoïdales du village de Montferrand (Aude) |
Stèles de Baraigne (Aude) |
Où trouve-t-on les stèles du Lauragais ?
La localisation apparaît très nettement sur la carte dessinée par P. Ucla, avec quelques stèles dans l’Hérault (région de Lodève), dans l’Aveyron, et une concentration dans le Lauragais. Dans ce Pays des Mille Collines j’en compte 125 ; d’après P. Ucla, en 1980 on en trouve 8 à Airoux, 8 à Baraigne, 2 à Belflou, 4 à Labécède, 10 aux Cassès, 18 à Montferrand, 5 à Montmaur, 12 à Pexiora, 7 à Saint Michel de Lanès, 4 à Ricaud, 6 à Souilhanels. P. Ucla met cette concentration en corrélation avec une carte des diacres cathares qui sont eux aussi très nombreux en Lauragais : à Lanta, Caraman, les Cassès, Montmaur, Saint Félix, Laurac, Vaure, Labécède, Puylaurens, etc... D’où la question qui s’est posée : ces stèles sont-elles cathares ? La réponse est, selon la plupart des auteurs, que je rejoins dans cette idée, négative, il n’y a pas de symbolique cathare, pas d’architecture cathare, Montségur III (le château actuel, qui date de 1320) n’a jamais vu un cathare... L’Inquisition a tout détruit, les maisons abritant des cathares ont été démolies, les cathares avérés ont fini sur les bûchers, les restes de présumés hérétiques inhumés dans des cimetières catholiques ont été exhumés et brûlés. Si les stèles étaient cathares, l’Inquisition en aurait fait table rase. Cependant lorsque je me plonge dans ma collection de photographies, j’éprouve un sentiment étrange, un intérêt très vif pour les Bons Hommes et les Bonnes Femmes certes, mais aussi pour ces pierres qui conservent un intense parfum hérétique, un certain mystère, difficile à définir, mais empli d’émotion. Quelques stèles sont très célèbres : aux Cassés, "le Christ", silhouette humaine, qui interpelle le passant et lui indique la direction à prendre pour aller se recueillir sur l’emplacement du bûcher, tout proche; c’est au lieu-dit Le Fort qu’en 1211, après le massacre de Lavaur (400 brûlés) Simon de Montfort brûle 60 hérétiques. Une autre stèle magnifique, celle du château de la Barthe à Belflou est présentée par R. Nelli dans son Musée du catharisme, mais elle n’est pas cathare.
Concentration de stèles dans le Lauragais d’après P. Ucla |
Quelle signification donner aux symboles de la stèle ?
Le disque est presque toujours historié par des cercles et des croix d’une très grande diversité ; les stèles marquaient une tombe avec un objet indiquant la qualité du défunt : par exemple une navette de tisserand (au musée de Limoux) ; on trouve très souvent un objet triangulaire avec un manche : il s’agit d’une reille, partie de la charrue médiévale, la seule en fer, dont la présence sur la stèle indique un laboureur. Rares sont les animaux : on trouve une colombe dans l’église à Baraigne (stèle trilobée). La croix du Languedoc avec ses 12 boules indiquait peut-être la limite du territoire des comtes de Toulouse (croix de Saint Gilles devenue croix de Toulouse puis croix du Languedoc) ; des fleurs de lys, symbole royal, indiquaient peut-être, un terroir royal. Les croix du disque présentent une variété infinie: elles sont "grecques, bifurquées, empennées, flêchées, pattées, potencées, treflées" (P. Ucla) ; parfois le cercle est absent.
Représentation de la variété des croix sur le disque, d’après le dessin de P. UCLA |
Les stèles du Lauragais, si nombreuses, sont l’un des fleurons du patrimoine si riche des villages et cimetières de nos collines. L’éminent spécialiste du catharisme Jean Duvernoy cherche une liaison entre ces stèles et les artisans locaux ; il écrit : "Il s’agit moins d’un travail d’artiste que d’un travail d’artisan", peut être celui qui taillait aussi les meules à aiguiser les couteaux, les faux, les haches ; enfin J.Duvernoy dit clairement que "l’on peut écarter tout rapprochement entre ces monuments et le catharisme" (1977).
Amis lecteurs, si vous possédez une stèle, ou si vous en connaissez dans quelque mur de borde lauragaise, écrivez-nous.
Jean ODOL
Bibliographie :
P. Ucla : Contribution à l’étude des stèles discoïdales du Languedoc, in Archéologie du midi médiéval, tome I, 1983
M. Huyghe : Stèles discoïdales en Lauragais et croix de pierre 110 dessins 2000.
Jean Duvernoy : La religion des cathares Ed. Privat 1977 (ouvrage de référence)
Dossiers documentaires non publiés : dossier de M. Verdier et dossier photographique de Mme Sailliard (Ayguesvives)
Une abondante documentation est déposée à la bibliothèque et photothèque du Centre d’Archéo-logie Médiévale du Languedoc.
Crédit photos : S. Sailliard